L´Europe et l´Amèrique ...et leurs frontières

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L’Europe, ses frontières et ses migrations

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La fermeture des frontières aux travailleurs étrangers, voici près de trente ans, a eu pour effet d’accélérer le regroupement familial (plus de 50 % des entrées légales annuelles), de provoquer leur sédentarisation, et n’a pas empêché la venue d’autres flux : réfugiés, illégaux, experts, étudiants… : un phénomène où, contrairement au passé, où entraient surtout des « bras », les facteurs d’attraction (pull) sont devenus plus puissants que les facteurs qui poussent les gens hors de chez eux (push). L’Europe attire donc par elle-même. Aussi, les migrants sont-ils moins des ruraux analphabètes que du temps des migrations de masse des années 1960, mais davantage des urbains scolarisés issus des classes moyennes. Outre la migration familiale, la demande d’asile est la source qui a le plus augmenté au cours des quinze dernières années notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. L’Afghanistan, l’Irak, la Turquie, l’ex-Yougoslavie, la Chine et l’Afrique subsaharienne y figurent en bonne place. Comparées aux principaux réservoirs démographiques d’immigration potentiels que constituent la Chine, l’Inde ou l’Irak, les migrations intra-européennes qui bénéfi­cient pourtant de toutes les libertés d’installation, de circulation et de travail, restent faibles. Cette mobilité interne à l’Europe est la plus élevée au Luxembourg, suivi de la Suisse, de l’Irlande, du Royaume Uni, de la Belgique, du Portugal, de la Suède, de l’Espagne et de la Grèce. On constate en revanche que, depuis une vingtaine d’an­nées, la part des étrangers originaires de pays tiers a augmenté et que certaines natio­nalités ont gagné en importance (migrants originaires des pays d’Europe centrale et orientale en Allemagne, Marocains et Sénégalais en France, ex-Yougoslaves aux Pays-Bas), tandis que des nationalités nouvelles s’affirment dans le paysage migratoire : Pakistanais, Vietnamiens, Iraniens, Sri Lankais, Chinois.

13Quant aux installés, dans l’Europe des 27, sur 450 millions d’habitants, on compte environ 25 millions d’étrangers, dont un quart d’Européens communautaires. Ces étrangers sont inégalement répartis dans les pays d’accueil : ainsi l’Allemagne est le premier pays d’immigration, avec 7,5 millions d’étrangers, 9 % de sa population totale, suivie par la France (3,5 millions, 6 % de la population totale), l’Espagne (passée d’1,5 million en 2002 à plus de 4 millions aujourd’hui) et le Royaume-Uni (2,8 millions, 4 % de la population totale), la Suisse (1,4 million, près de 20 % de la population), l’Italie (1,5 million d’étrangers, 2,4 % de la population) et la Grèce (800 000 étrangers, 8 % de la population totale). Mais la proportion d’étrangers n’est pas toujours liée à leur poids numérique (Luxembourg, 30 % d’étrangers, Autriche 10 %, Finlande 2 %). Malgré la mondialisation, chaque pays a un peu « ses » étrangers, fruits de l’héritage colonial, de relations bilatérales privilégiées ou de la proximité géo­graphique. Dans la plupart des pays européens, 60 % des étrangers ne proviennent que de quatre ou cinq pays de départ, même si l’on s’achemine vers une diversifica­tion des pays d’émigration et des types de migrants et une dizaine de pays européens d’accueil seulement concentrent la presque totalité des immigrés : Allemagne, France, Espagne, Royaume Uni, Italie, Suisse, Belgique, Grèce, Autriche, Pays-Bas par ordre décroissant du nombre d’étrangers.
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  • 5  Il s’agit de colonies grecques installées de longue date dans la région dite du Pont Euxin, c’est- (...)
14En Europe de l’Est, la chute du mur de Berlin a donné lieu à des migrations eth­niques de retour, notamment celle des Aussiedler en Allemagne (deux millions), des Allemands installés depuis plusieurs siècles à l’Est de la frontière allemande, en Pologne, dans les pays baltes, en Russie, en Sibérie, celle des Bulgares retournés en Turquie (près d’un demi-million), des Finnois de Carélie en Finlande4, des Grecs pontiques5 en Grèce (131 600), des Hongrois de Transylvanie (Roumanie) vers la Hongrie, des Italiens d’Argentine et d’ailleurs vers l’Italie (306 000), l’Autriche ayant aussi connu quelques 380 000 retours ethniques. Mais les Peco (Pays d’Europe cen­trale et orientale) représentent surtout une migration vers l’Europe de l’Ouest, tout en accueillant une population venant d’Ukraine, de Pologne et de Roumanie. Contrairement aux idées reçues, la grande déferlante ne s’est pas produite et il s’est agi surtout de migrations de voisinage et plus encore de migrations pendulaires (Polonais en Allemagne, Roumains en Italie, Ukrainiens en Espagne et au Portugal), de la part de gens qui s’installent dans la mobilité comme mode de vie. Le groupe le plus impor­tant est celui des Polonais, suivis des Roumains et des Ukrainiens. Autre nouvelle migration : les Roms. Au nombre de 8 à 12 millions en Europe (les chiffres varient for­tement d’une source à l’autre), les Roms sont surtout présents en Roumanie (deux millions), en Slovaquie, en Bulgarie et en Hongrie.
15Au Sud, on trouve le même phénomène de migrations en chaîne, la Turquie étant devenue une zone de migrations et de transit pour les migrations de voisinage (soit environ 250 000 étrangers, venus d’Irak, de Moldavie, d’Iran, d’Afghanistan) et le Maghreb une zone de départ et d’accueil ou de transit pour une migration subsa­harienne venue du Sénégal, du Mali et de Mauritanie. La fermeture des frontières appliquée par les pays du Maghreb en application des dispositifs européens d’exter­nalisation des frontières conduit les migrants illégaux à changer leurs parcours et à partir des côtes africaines par mer jusqu’aux îles Canaries plutôt que Gibraltar ou à traverser le désert et tenter les îles siciliennes plutôt que Brindisi, ce qui rend le voyage plus dangereux et a conduit à plusieurs milliers de morts aux abords de l’Europe depuis 2000.
16Partout, la mobilité est régie par des réseaux transnationaux d’origine familiale, économique, commerçante, ainsi que mafieuse qui ne sont que superficiellement affectés par les politiques de contrôle des frontières. La fascination pour l’Eldorado occidental est grande et « l’envie d’Europe » aussi, surtout pour tous ceux qui consi­dèrent qu’il n’y a aucun espoir chez eux. L’exode rural se dirige vers de grandes métropoles de départ qui sont des espaces d’échanges où prospère une économie liée à la frontière et à sa fermeture : trafics de main-d’œuvre, d’êtres humains, de drogue, produits de contrebande mais aussi commerce tout court. De grands marchés vien­nent matérialiser ces zones de friction et de rencontre entre deux mondes, au départ ou à l’arrivée. Ce sont des plaques tournantes pour la migration, souvent à proximité des frontières. Parfois c’est le mariage, moins souvent blanc que traditionnel ou mixte d’ailleurs, ou les réseaux religieux (chrétiens comme musulmans) qui servent de ticket d’entrée vers le rêve européen, puisque les frontières ne sont ouvertes qu’aux plus nantis (commerçants et hommes d’affaires, experts, universitaires munis de visas à entrées multiples, titulaires de titres de séjour de longue durée ou de la nationalité d’un pays d’accueil et ainsi dispensés de visas, étudiants).
17Quelques profils dominent dans ces nouveaux types de migrants : des hommes jeunes et diplômés issus des classes moyennes urbaines, nourris d’aspirations diffuses à la modernité occidentale, des femmes isolées, scolarisées, accédant à une indépen­dance économique et personnelle mais parfois aussi cherchant une liberté d’expres­sion, des mineurs, souvent victimes d’exploitation en tout genre, aux motivations difficiles à démêler, des élites très qualifiées à la recherche d’une réalisation profes­sionnelle à la mesure de leurs compétences ou de leurs talents, des hommes prêts à offrir leurs bras pour améliorer leur condition, des groupes installés dans la mobilité comme les paysans maliens de la région de Kayes, les Chinois de Wenzhou, les Roumains du pays d’Oas. Hormis les réfugiés et l’immigration matrimoniale (mariages et regroupement familial), beaucoup de ces nouveaux migrants aspirent davantage à la mobilité qu’à l’installation définitive. Ils considèrent parfois leur séjour comme un passage vers d’autres destinations plus convoitées (États-Unis, Canada) ou comme un aller-retour entre « ici » et chez eux. Tout porte à croire que ces tendances vont se pour­suivre, compte tenu de la persistance des déséquilibres mondiaux, de la rencontre d’un désir d’individualisme avec un sentiment d’absence de perspectives dans les pays de départ. Cette mobilité est une source de dynamisme économique et démographique (50 % de la population sur la rive sud de la méditerranée a moins de 25 ans), mais elle se heurte à la réticence des pays européens à prendre en compte cette nouvelle donne.
18La Méditerranée fait un peu figure de Rio Grande, de ligne de fracture géopoli­tique entre l’Afrique et l’Europe. La fermeture des frontières s’y conjugue avec la libé­ralisation accrue des échanges commerciaux (tels étaient les objectifs du processus de Barcelone, entre 1995 et 2005) mais aussi avec l’absence d’alternative véritable à la migration. Dans le même temps, les pays d’immigration européens cherchent à limi­ter la part de l’immigration familiale par rapport à la migration de travail salarié, réin­troduite dans plusieurs pays, en souhaitant une immigration temporaire répondant à la structure du marché du travail. Mais ils peinent à définir collectivement leurs besoins de main-d’œuvre dans le long terme et renforcent leur fermeture vis-à-vis des pays du sud, rendant ambigu le projet d’intégration régionale euroméditerranéenne. Pourtant, la dépendance des pays européens à l’égard de l’immigration a des chances de s’accroître, compte tenu des faibles ressources démographiques des pays européens de l’Est nouvellement entrés dans l’Union.

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